Федор Тютчев - Том 4. Письма 1820-1849 Страница 49

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Тютчевым И. Н. и Е. Л., 11/23 августа 1843*

89. И. Н. и Е. Л. ТЮТЧЕВЫМ 11/23 августа 1843 г. Петербург

St-Pétersbourg. Ce 11 août 1843

Vous voyez bien, chers papa et maman, que je ne perds pas de temps pour vous annoncer l’heureuse issue de ce fameux voyage qui vous paraissait si formidable en raison de mon extrême jeunesse. Le voilà terminé non sans fatigue et sans quelques ennuis, mais au total le plus heureusement du monde. Nous sommes arrivés à 4 h<eures> de l’après-midi et après avoir fait une inspection sommaire de tous les hôtels qui m’avaient été indiqués, je me suis décidé pour Demouth*, où j’ai loué un appartement d’une chambre et demie pour moi et d’une autre demi-chambre pour mon domestique à raison de 13 roubles argent par semaine. C’est fort cher assurément, mais je prévois que ce sera là aussi ma plus grosse dépense, car, grâce à la position centrale que je viens de prendre, la dépense pour la voiture se réduira à peu de chose.

Parmi mes compagnons de voyage il y en avait un que je connaissais indirectement. C’est le jeune Dehay, fils du sénateur Dehay que j’ai vu l’année dernière à Kissingen et qui est un ami de Мих<аил> Ник<олаевич> Муравьев*, l’autre était un très jeune homme, Жемчужников*, le reste de la compagnie, à l’exception d’un fabriquant allemand, se trouvait être composé de nos trois domestiques.

Mais pour sortir de ces détails fort peu curieux, laissez-moi vous dire que ce qui me domine en ce moment exclusivement, c’est le souvenir de ces six semaines que nous venons de passer ensemble et de toute cette affection dont vous m’avez comblé. Que Dieu vous bénisse et vous conserve et qu’Il éxauce notre vœu mutuel de nous revoir l’année prochaine.

C’est demain que je me mettrai en cause* et je vous écrirais sitôt que j’aurai quelque chose à vous dire. Mais en vous parlant de mon voyage, j’oubliais de vous dire que j’ai parfaitement bien dormi les trois nuits consécutives, et je serais un ingrat, si je n’en attribuais le mérite, en grande partie au moins, au coussin de cuir de papa.

Pétersb<ourg> m’a de nouveau étonné. C’est une magnifique ville assurément, et dans ce moment, grâce à la magnificence du temps, elle a une physionomie tout à fait méridionale. Il est minuit et la perspective est encore peuplée de promeneurs.

Mille amitiés à Nicolas. Est-il donc vrai que nous voilà de nouveau séparés? Qu’est devenu le temps passé ensemble. Mille tendresses aussi à Dorothée et à son mari. Je vous aime tous du fond du cœur.

Adieu. Je baise vos mains.

T. T.

Перевод

Петербург. 11 августа 1843

Видите, любезные папинька и маминька, я, не теряя времени, спешу сообщить вам о благополучном завершении поездки, которой вы когда-то так опасались по причине моей крайней молодости. Она наконец завершилась — не без усталости и некоторых неприятностей, но в общем благополучнее всего на свете. Мы прибыли в 4 часа пополудни, и после краткого знакомства со всеми указанными мне гостиницами я остановил свой выбор на гостинице Демут*, где снял за 13 рублей серебром в неделю две комнаты — одну полностью для себя, а во второй отведен угол для слуги. Это, конечно, очень дорого, но я думаю, что это будут самые большие мои расходы, потому что благодаря расположению гостиницы в центре города расходы на коляску будут самыми ничтожными.

Среди моих спутников в поездке нашелся один, кого я косвенно знал ранее. Это молодой Дегай, сын сенатора Дегая, которого я встречал в прошлом году в Киссингене. Он приятель Михаила Николаевича Муравьева*. Другой спутник — совсем молодой человек, Жемчужников*. Остальная часть компании, за исключением одного немца фабриканта, как оказалось, состояла из трех наших слуг.

Но чтобы покончить с этими мало занимательными подробностями, позвольте мне сказать, что в эти минуты во мне живут исключительно воспоминания о шести неделях, проведенных с вами вместе, и о тех знаках любви, которыми вы меня осыпали. Благослови и сохрани вас Господь, и пусть исполнится наше общее желание — вновь увидеться в будущем году.

Завтра я приступлю к делу*, и как только появится что сказать, я тут же напишу вам. Но, рассказывая о поездке, я забыл написать, что три ночи подряд я великолепно спал, и я бы был самым неблагодарным, если бы не отметил, что во многом это было благодаря кожаной подушке, подаренной папа́.

Петербург вновь удивил меня. Это, несомненно, величественный город, и в это время, благодаря великолепной погоде, он имеет совершенно южный вид. Сейчас уже полночь, а перспектива заполнена гуляющими.

Поклон Николушке. Неужели правда, что мы снова разлучились? Что сталось с временем, проведенным с ним вместе? Кланяюсь также Дашиньке и ее мужу. Люблю всех вас всем сердцем.

Прощайте. Целую ваши ручки.

Ф. Т.

Тютчевой Эрн. Ф., 14/26 августа 1843*

90. Эрн. Ф. ТЮТЧЕВОЙ 14/26 августа 1843 г. Петербург

Ma chatte chérie, j’écris exprès en grosses lettres — St-Pétersbourg. Ce 26 août 1843 — pour te faire toucher au doigt de combien de couches s’est diminué la formidable distance qui nous sépare. Oui, ma bonne, me voilà depuis trois jours à Pétersb<ourg> en plein courant européen, entouré de nouveau de tous ses bruits et de toutes ses rumeurs, si bien que je pourrais au besoin y démêler le petit souffle de la petite Casimire. N’est-ce pas joli? Tu ne saurais croire, toi, combien à 300 lieues de distance il est doux de sentir l’effet de sa présence Casimirienne. C’est par le cher Cardenos que cette impression amie, que cette tiède bouffée m’est arrivée.

Une autre impression, bien autrement amie et restaurante avait été celle-ci: le jour même de mon départ, deux heures avant de monter en voiture, le sort a eu la très aimable attention de me faire parvenir ta lettre du 3 de ce mois. Elle arrivait à point,[26] car l’attente commençait à tourner à l’inquiétude, et d’ailleurs j’avais besoin d’une récompense pour les 3 jours d’horrible existence que j’allais passer enfermé dans la caisse de la diligence. Cette lettre fut donc la très bien venue, et bien qu’elle fut, ne t’en déplaise, une des plus fraîches et des plus calmes que tu n’eusses jamais écrites, telle est néanmoins l’horrible partialité du cœur humain que je sentais, en empruntant un chiffon du papier, qu’il m’était plus cher que tout ce que je laissais derrière moi. Et cependant c’est un monde bien uni, bien sympathique que celui que je quittais. Les adieux de mes bons vieux ont été des plus tendres, et ceux de ma mère en particulier m’ont été presque pénibles. Un certain degré de sensibilité maintenant, presque dans la vieillesse, devient un contresens. Toute la famille m’a accompagné jusqu’au bureau des diligences, et l’apparition de ma mère dans un pareil endroit était un fait sans précédant et sans analogue dans sa vie. Je n’ai pas besoin de te dire que dans la matinée du jour de mon départ qui était un dimanche il y a eu après la messe le Te Deum obligé, suivi d’une visite dans une des chapelles les plus révérées de Moscou, où se trouve une image miraculeuse de la Ste Vierge d’Ibérie. En un mot, tout c’est passé dans la forme de la plus stricte orthodoxie. Eh bien, pour qui ne s’y associe qu’en passant, pour qui peut en prendre à son aise, il y a dans ces formes, si profondément historiques, il y a dans ce monde russo-byzantin, où la vie et le culte ne font qu’un, et si vieux que Rome elle-même, comparé à lui, sent quelque peu d’innovation, il y a dans tout cela, pour qui a l’instinct de ces choses, une grandeur de poésie incomparable, une grandeur telle quelle subjugue l’inimitié la plus acharnée, car au sentiment de ce passé, déjà si vieux, vient fatalement s’ajouter le pressentiment d’un avenir incommensurable. Ce sera un éternel regret pour moi que de n’avoir pas te faire voir Moscou. Comme ta nature, la plus intelligente des natures humaines, aurait vite et bien compris ce qu’il y a dessous. — Mais pour changer de ton, parlons un peu des affaires personnelles à mon chétif individu. Me voilà à Pétersbourg, quelque peu pendu dans le vague de mes projets, car, à bien considérer les choses, je ne vois pas ce que j’ai à chercher ici, sinon un p<asse>port pour l’étranger. Demanderai-je ma réintégration au service, en me faisant attacher de nouveau à la légation de Munic. Mais ce serait là, à mon sens, une chose absurde, car ce serait de la dépendance accompagnée de quelques-uns de ses inconvénients et sans aucune de ses compensations. Je sais que c’était là le désir de Sévérine, tout comme c’est aussi l’avis de mon frère. Mais ni l’un, ni l’autre ne m’ont convaincu. Le fait est que ce qui pourrait me convenir dans le service, je ne suis plus en droit de le demander, et que tout ce qui n’est pas cela ne ferait qu’entraver ma position au lieu de l’améliorer.

D’autre part, vivre ici dans l’attente de quelque coup favorable du sort serait aussi absurde que de se mettre à spéculer sérieusement sur les chances d’un gain à la loterie. Je n’ai d’ailleurs ni les moyens, ni surtout l’envie de m’éterniser ici à attendre ce miracle. Je suis donc résigné à ne tirer d’autre profit de mon voyage à Pétersb<ourg> que d’essayer de régulariser ma démission et puis aussitôt après je demanderai un p<asse>port pour l’étranger. Mais le mal est que même pour réaliser ce programme si modeste, je n’ai pas sous la main les intermédiaires dont j’aurais besoin. Les Krüdener sont à Péterhoff, où je compte aller les voir demain ou après-demain. La Gr<ande>-Duchesse Marie de L<euchtenberg> qui y est aussi, n’est pas encore relevée de couches et de plus, dans l’affliction et les larmes par suite de la mort de sa fille aînée*. Pauvre jeune femme. C’est le jour même de l’enterrement de son enfant, le 10ème après ses couches qu’elle a appris par l’Emp<ereur> que l’enfant était mort. Je parie, ma chatte, que ta pensée et la mienne se sont rencontrées sur le même sujet, en apprenant cette jeune mort.

L’impatience d’écrire commence à me gagner. J’abrège et je finis. Je ne puis ni prétendre, ni attendre. Et cependant, je le sais, de retour à Munic j’aurais des remords, comme si j’avais manqué la fortune d’un Roi. Et cependant le voyage n’aura pas été stérile, puisqu’il m’aura valu, selon toute probabilité, de 10 à 12 m<ille> de rente. Et à ce sujet je ne comprends pas ton raisonnement. Comment peux-tu préférer l’ancien ordre des choses, c’est-à-d<ire> rien, au nouvel arrangement. Et comment aurais-je pu éviter la dépendance, où je me trouve fatalement placé vis-à-vis de mon frère, à moins de m’établir à la campagne pour y servir mes affaires moi-même. D’ailleurs puis-je sérieusement le supporter capable de me voler ma part d’un bien qui nous a été donné en commun? Et quel autre arrangement aurais-je pu suggérer?

Ici, à Pétersbourg, je me suis retrouvé en plein Munic dans la diplomatie, Colloredo, Colobiano, Cardenos, le spongieux Waechter, Otterstedt*, etc. etc. Et hier à un grand bal à 7 lieues de la ville et où j’ai été condamné à rester jusqu’à 4 h<eures> du matin, grâce au chemin de fer — j’ai retrouvé la jolie Mad. Koutousoff, toujours maigre et jolie, la ci-devant Mlle Poltavtzoff et cette grosse Comtesse Koutaissoff* que tu as si peu goûtée à Gênes et qui maintenant s’est affectueusement enquis de tes nouvelles. Les réminiscences de l’Europe surgissent ici à chaque pas, et cela produit une illusion d’optique qui trompe sur les distances. La même date

Peste soit des écritures! Quelle absurde mystification que les écritures! et qu’il devait être et niais, et lieu commun, et brumeux, le premier qui s’est avisé de prétendre qu’on parlait en écrivant. C’est comme si on prétendait faire un voyage de long cours, en sautant à cloche-pied. Voilà que j’ai écrit quatre grandes pages, sans te dire un seul mot qui m’intéressât, moi, c’est-à-d<ire> sans te dire un seul mot qui eût rapport à toi. J’ai calculé le jour, où je quittais Moscou, que ce jour-là même, c’était le 20 août, tu arrivais à Munic. Ah, quand viendra cet autre jour, où tu verras ma chienne de figure surgir inopinément devant toi? Sache, ma bonne amie, que l’absence m’excède au dernier point, qu’il y a longtemps que je ne t’ai vue et que je me sens très mal à cette privation. Je te dis cela avec l’abandon le plus complet de ma dignité, car je sais bien qu’à l’heure qu’il est je ne puis plus compter sur ta réciprocité. Je le sais. Je le sens. — Mais n’importe. Je suis trop vieux pour recommencer à aimer — et bon gré, mal gré, il faut que je m’habitue à me contenter d’une affection même partagée. On n’est plus digne d’autre chose. Quant à moi, vois-tu? Pour être entièrement vrai, je dois te dire qu’il n’y a que toi que j’aime véritablement au monde, tout le reste n’est qu’accessoire, tout le reste c’est un dessus de moi, tandis que toi, c’est moi-même, et cette affection n’est si vraie que parce qu’elle est de l’égoïsme tout pur.

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